Description du camp

 

Le Bloc IV pendant la guerre

 

Le camp était constitué par des blocs, des écuries et des baraques sommaires. Il s’agissait d’une ancienne caserne de cavalerie russe en cours de construction.

La structure interne des bâtiments.
Souvenirs de Roger d’Aigremont, matricule 22.159 VA

Les blocs, au nombre de quatre, étaient en maçonnerie. Deux d’entre eux étaient inachevés et étaient dépourvus de fermeture (portes, fenêtres). L’un des deux autres blocs abritait les services généraux du camp (Kartei) et l’infirmerie » (Revier), qui reçut ce nom quelque temps après l’arrivée des premiers convois. Le dernier bloc, en construction, était à peine sorti de terre.

La plus grande partie des détenus étaient logés, ou plutôt entassés dans les écuries (au nombre de 4), constructions en bois sur petit soubassement en briques et dans les baraquements.

Dans les écuries, par E. Vanderheyde
Les boxes, divisées en trois étages, transforment les primitives écuries du camp en dortoirs. Les sombres étages inférieurs ne permettent même pas la position assise. Seul l’étage supérieur reçoit la lumière des fenêtres et peut être aéré.

Aucun des bâtiments n’était pourvu d’eau, de lumière, de chauffage, de latrines. Il n’y avait ni paillasse, ni paille, ni couverture. Les hommes couchaient à même le sol ou sur des bat-flanc à trois ou quatre étages entre lesquels il pouvaient à peine se tenir assis. Les latrines étaient constituées par de grandes fosses à ciel ouvert. Il n’y avait qu’un seul robinet d’eau pour tout le camp (eau non potable). Les jours de pluie, ou à la fonte des neiges, la cour n’était qu’un vaste bourbier. Le sols, les murs, les planches des quelques bat-flanc étaient couverts de vermine.

Aucune mesure d’hygiène ne fut prise !

Chaque soir, J.-M. Frébour lisait les communiqués de guerre dans les écuries.
Par Roger Maire

Il convient de préciser qu’à l’arrivée du premier convoi de Français, le 13 avril 1942, ceux-ci découvrirent des traces sanglantes, des éclats de cervelle et des cheveux collés au sol et aux mur, montrant la cruauté déployée par les Allemands envers les soldats soviétiques. Ils durent nettoyer ces lieux avec des moyens de fortune tels des branchages. Les derniers cadavres de ces malheureux avaient été transportés hors du camp par des Juifs sous la surveillance de S.S. Ils furent vraisemblablement acheminés vers la forêt de Wolkowice, à environ 2 km de la ville de Rawa-Ruska, où furent découvertes deux fosses communes de 8 000 et 7 000 prisonniers de guerre soviétiques, comme le signale, dans un rapport des 24/30 septembre 1944, la « commission principale d’enquête sur les crimes hitlériens en Pologne » du ministère public de l’URSS.

L’extérieur des écuries, avec les « popotes » de fortune des prisonniers. Le soir, aux heures permises, des feux sont vites allumés et, seul ou par petits groupes, on se lance dans de rudimentaires combinaisons culinaires. Quelques fois le vent capricieux et méchant ajoute son grain de sable à la recette, mais les appétits trop aiguisés font quand même des envieux parmi les moins privilégiés.
Par E. Vanderheyde

Régime

Conditions matérielles

 

« Rawa-Ruska, camp de la goutte d’eau et de la mort lente ».
Sir Winston Churchill

Tous ces objets avaient été confisqués lors des fouilles effectuées au moment de l’arrestation, au passage dans les « straf-kompanies », et avant le transfert à Rawa-Ruska.Presque tous les hommes avaient les pieds nus dans des sabots ou des claquettes en bois, et étaient vêtus de haillons. Ils n’avaient aucun récipient pour manger et boire, aucun ustensile pour se servir, aucune cuillère, aucun couteau, aucun rasoir, aucun nécessaire de toilette.

On avait affublé les déportés de vieux uniformes de l’Armée française, et nombre d’entre eux portaient aussi des uniformes étrangers dépareillés.

Très nombreux étaient ceux qui n’avaient même plus de chemise, ni de sous-vêtement. Sur les uniformes français il avait été peint dans le dos : le « KG » traditionnel ou parfois un triangle rouge ou un disque de même couleur, appelé dérisoirement « la cible ». On interpellait ainsi ceux qui en étaient affublés : « Eh, la cible ! »

Discipline – Travail

Des brimades quotidiennes étaient imposées aux détenus qui, toujours pieds nus dans les sabots, devaient courir, sauter, se coucher, ramper, en portant souvent des charges (poutres, pierres, etc.) et ce, par n’importe quel temps.

Des rassemblements étaient ordonnés à n’importe quelle heure, le jour et la nuit, et duraient de nombreuses heures. Il y avait aussi d’interminables fouilles.

Les détenus étaient envoyés au travail, soit en corvées extérieures, ou en kommandos (exploitations de carrière, tourbière, travaux forestiers…) où ils se trouvaient mêlés aux kommandos de Juifs, sous l’impitoyable surveillance des soldats chargés de les garder. Le travail se faisait sous la contrainte, accompagné de coups de bâton, de coups de crosse, sous la menace de la baïonnette.

L’horizon de Rawa-Ruska, dessin de Roger Maire

Alimentation

Il y eut jusqu’à 12 à 15 000 détenus en même temps dans le camp, et il n’y eut toujours qu’un seul robinet d’eau. Encore faut-il souligner que celle-ci était polluée en raison de la présence de charniers dans le voisinage immédiat du camp. L’eau provenait par pompage, et sans filtrage, d’une rivière chariant souvent de nombreux immondices.

Il fallait faire la queue durant plusieurs heures pour obtenir une maigre ration d’eau.

Les déportés au camp de RAWA-RUSKA, sans aucun doute, ont été placés dans les plus mauvaises conditions de régime alimentaire.

La quantité d’aliments distribués était nettement insuffisante, et d’une qualité déplorable.

Une soupe par jour constituée par du liquide dans lequel on remarquait un peu de millet ! des fanes de choux quelquefois, pour changer ! des cosses de pois !…

De temps en temps, il y avait une distribution de margarine, ou graisse synthétique, de marmelade de betteraves la plupart du temps avariée (asticots).

Le pain ? Les premières semaines, sa distribution était bien irrégulière en raison de mauvais arrivages. Très souvent, la boule pesant un kilogramme était à partager entre 30 ou 35 détenus. Il est arrivé de rester deux ou trois jours sans en avoir.

Une « tisane » était servie matin et soir. Elle était à base de décoction de feuilles ou de bourgeons de sapin. La quantité réservée à chaque homme était d’environ un quart à un demi-litre !

Il y fut quelquefois distribué des pommes de terre souvent gelées et en partie pourries provenant d’un silo voisin.

Pour manger et boire, les détenus n’eurent que des objets découverts dans le camp : boîtes de conserve rouillées, vieux casques, tuiles, etc. Bien souvent, il n’y eut qu’un récipient pour plusieurs hommes. Des cuillères avaient pu être taillées dans des morceaux de bois à l’aide de pièces métalliques aiguisées sur des pierres !

Ces réchauds, sur lesquels les prisonniers s’efforçaient de cuire les denrées de récupération les plus diverses, étaient fabriqués par des bricoleurs dans des boîtes de conserve 4/4. À la base de la boîte, des ouvertures donnaient sur le foyer. Des trous, par lesquels sortaient de petites flammes bleues, faisaient le tour de sa partie supérieure. Le combustible était des « bûchettes » de la grosseur d’une allumette, qui, en se consument, se transformaient en gaz. C’étaient en somme des réchauds à gaz de gazogène…

Des kommandos

Le nombre des déportés arrivant au camp de Rawa-Ruska augmentant, des kommandos ont été créés, certains très loin vers l’Est, et il n’a pas été possible d’en établir le nombre exact. Il existe cependant une liste des sous-camps de Rawa-Ruska.

En effet, les listes de répartition dans les kommandos, ainsi que leur lieu d’implantation, étaient sous le contrôle exclusif de l’Abwehr.

L’effectif des kommandos variait de 50 à 500 détenus.

Comme au camp, rien n’avait été organisé avant l’arrivée des détenus, et aucune amélioration ne fut apportée par la suite.

Le régime alimentaire n’était guère meilleur que celui du camp.

Les détenus durent, pour subsister, manger des herbes et des racines arrachées en cachette durant les corvées.

Le travail était obligatoire, sous la surveillance constante de sentinelles et de chiens qui harcelaient les hommes. Ce travail était des plus harassants : terrassement sur voies de chemin de fer, champ d’aviation, travaux forestiers, extraction de pierre, de tourbe, etc., et même travaux de démolition de pierres tombales des cimetières juifs de la région (notamment Trembowla).

Les détenus français, bien souvent, travaillaient côte à côte avec les Juifs déportés des pays occupés par les nazis. Dans certaines prisons ou citadelles, ils étaient mélangés aux Juifs déportés.

De plus, sévissaient les exactions de toutes natures : appels, fouilles interminables à n’importe quelle heure, par n’importe quel temps.

Ainsi, ce régime tendait-il à l’effondrement intégral de l’être humain.

Etat de santé – Mortalité

 

En raison de leur affaiblissement, les détenus devenus moins résistants étaient des proies toutes désignées pour les diverses maladies endémiques de la région (zone climatique très rigoureuse, proximité de marécages, parasites thyphiques, etc…).
Par suite du manque d’eau, le camp avait été surnommé « LE CAMP DE LA GOUTTE D’EAU », lorsque la radio de Londres (BBC) avait dénoncé son existence.

Avitaminose, cachexie, décalcification, dysenterie bacillaire, gastro-entérite, typhus, maladies pulmonaires, rhumatismes, névralgies, et bien d’autres maladies non décelées et susceptibles de détruire des êtres sous-alimentés furent le lot de ces hommes. Les détenus perdirent tous de 15 à 20 kilogrammes au cours des premiers mois de leur détention. Un bilan de mortalité est difficile, sinon impossible à faire.

Les militaires déportés à Rawa-Ruska étaient du « Service Armé », ayant fait la guerre, ayant déjà subi des séjours en camps, straf-kompanies, en prisons ; c’étaient des hommes jeunes, solides, ayant, malgré certains sévices déjà endurés, un entraînement à la vie captive et à la lutte contre l’adversité.

Combien y aurait-il eu de morts s’il s’était agi d’hommes, ou de femmes, enlevés brutalement à leur intérieur, à leur vie familiale, à leur milieu, à n’importe quel âge ?

Bon pour une paire de chaussures »
ayant été rendu nécessaire par la gelure des pieds »

Il a été prouvé que des cadavres de militaires prisonniers de guerre français ont été découverts dans de nombreux charniers en Ukraine, dans la région de Rawa-Ruska et de Lemberg (cf. Extraits du procès de Nuremberg, audience du 13 février 1946, exposé du colonel Pokrovsky).