Persistance de la résistance
Malgré ce dur régime, les déportés n’avaient qu’une idée : s’évader, rejoindre les Alliés.
Il y eut de nombreuses tentatives d’évasion.
Les hommes savaient pourtant bien qu’ils couraient de grands dangers, qu’ils étaient dans une ZONE OPÉRATIONNELLE DE GUERRE (Front de l’Est).
Si quelques-uns ont pu réussir, pouvant gagner le maquis polonais qui s’organisait, rejoindre, sinon la France libre, du moins un pays ami, ceux qui ont été repris ont fait l’objet de graves sévices allant jusqu’à la mort. De nombreux camarades ont été abattus au moment de leur évasion.
Si certains évadés ont pu réussir à rejoindre la Résistance polonaise ou les Partisans russes, si d’autres ont pu arriver en Hongrie ou en Roumanie pour rejoindre ensuite les Armées françaises libres, beaucoup ont disparu sans laisser de trace…
Ces évasions ne pouvaient avoir lieu qu’à l’occasion de corvées à l’extérieur du camp proprement dit ou de travail en kommando, en profitant de la moindre inattention d’une sentinelle. Encore faut-il souligner les conditions de santé, de temps, de lieu, et vestimentaires dans lesquelles ces évasions étaient tentées.
Des évadés repris ont fait des séjours dans les prisons ukrainiennes (sous contrôle allemand) mélangés aux autres détenus, notamment des Juifs, risquant d’être abattus à chaque instant par des gardes volontaires S.S. ukrainiens, lesquels ont dépassé dans leurs exactions les S.S. eux-mêmes.
Une forme de résistance : les amicales de Rawa-Ruska
A côté des formes de résistance active telles que les actes de sabotage, les tentatives d’évasion ou le défilé du 14 juillet 1942, le camp de Rawa-Ruska connut l’éclosion spontanées d’amicales régionales, semi-clandestines, dont diverses personnes ont à ce jour conservé leur carte de membre, réalisée à la main sur un morceau de carton – souvent le dos d’une photo. Dans l’univers totalitaire de Rawa-Ruska, l’appartenance à ces groupements, qui apportait à ceux qui en faisaient partie un soutien moral indéniable, représentait une forme évidente de résistance passive.
Évasions
Comme déjà indiqué, il était impossible de s’évader du camp même de Rawa Ruska ou de ses sous-camps ; pourtant, profitant des kommandos de travaux forcés à l’extérieur, malgré l’extrême vigilance des gardiens, beaucoup ont essayé, la plupart hélas, ont été tués sur place, d’autres ont été repris et exécutés ; un certain nombre, cependant, ont réussi, rejoignant la résistance polonaise ou les maquis ukrainiens, tchécoslovaques, hongrois ou roumains ; pour ne nommer que quelques-uns d’entre eux, nos camarades : Brugnon, Tutot, Maulini, Massart, Colombet, le docteur Lanussé (lire le récit de son évasion), Gardon, Inaudi, Espanol, Braun, Bertin, Ganster, les frères maristes Bonetbeltz et Clerc, Salgues, Caillavet, Charignon, Bertras Lire le récit « Les 93 évadés de ZWIERZYNIEK ».
Plusieurs ont même réussi, grâce à l’entremise de maquis ukrainiens, à se faire incorporer dans l’armée régulière russe et ainsi, avoir le grand réconfort de participer avec leur nouvelle unité à la bataille de Berlin, citons entre autres : Bertrand Achin (comme chef de char) et André Hennart qui fut, lui, hélas, grièvement blessé au cours des combats.
D’autres, après leur transfert dans un autre camp plus au nord, ont pu s’introduire dans des cargos en cours de chargement, en partance pour la Suède, dans les ports de la mer Baltique et ainsi pouvoir rapidement rejoindre par avion l’Angleterre, où ils furent incorporés dans les Forces françaises libres, ayant ainsi l’honneur de pouvoir participer au débarquement des troupes alliées en France ou d’être affectés, comme, entre autres, Jean Lagaillarde et son camarade d’évasion Pourcelot, à la division du général Leclerc.
Plus risqué encore, trois courageuses équipes s’emparèrent de vedettes militaires allemandes et après moult et dangereuses péripéties, malgré la surveillance des hydravions, la traversée de champs de mines etc., réussirent à atteindre la Suède et à s’engager, elles aussi, dans les Forces françaises libres pour reprendre le combat, citons entre autres : Gentet, Orain, Tacchi, Magerotte, Martin, Garnier, Chevallier, Brossier, Veschambre, Martineau, Vandenbulk, Hillairet, Gaven, Frébour. Lire le récit de cette évasion.
Sans oublier ceux qui par divers autres moyens ont réussi à gagner la France et à participer d’abord aux combats de la résistance, tels Charraz et Pollet du maquis des Chartreux et à continuer la lutte avec les FFL, en l’occurrence, sous les ordres du Général Gil et cela, jusqu’à la victoire finale, en Allemagne même, dans le pays qui les avait auparavant si cruellement maltraités. Citons encore, entre autres, le cas de Gilbert Bellegarde, qui réussit son évasion en octobre 1943 et passe à la Résistance en France en janvier 1944, au groupe « Armée secrète » avec le commandant Lanthoens, alias Lavergne.
D’autres, hélas, n’eurent pas cette immense joie et tout le réconfort que l’on peut imaginer en pareil cas, car ils furent repris avec leurs camarades résistants de l’intérieur, emprisonnés, torturés et à nouveau déportés, mais cette fois dans des camps civils de concentration en Allemagne, tels Dachau, Buchenwald, etc…
NOTA : C’est à un ancien de Rawa-Ruska, J. M. Frébour, évadé en vedette d’Allemagne en Suède et affecté dès son arrivée au « bureau militaire » (Service de renseignements) de la légation de la France libre en Suède, que revint l’honneur d’être chargé, avec l’aide dévouée et efficace des membres de la protection civile suédoise, comme officier chef du centre de Malmöe (port du sud de la Suède), de l’accueil, des soins à faire donner, de la répartition des malades dans les hôpitaux, et du rapatriement de ses camarades civils français des camps de déportation d’Allemagne (selon un accord entre le prince de Suède et l’amiral Dönitz, chef de l’état allemand à la fin de la guerre), entre autres, ceux de Ravensbrück, Buchenwald, etc., bien placé ainsi pour témoigner devant l’histoire de l’état de détresse de ces derniers.
D’une certaine continuité dans la peine après un séjour à Rawa-Ruska
Une grande partie des déportés n’ayant pas été affectés dans des kommandos, a été dirigée sur la citadelle de Lwow (Lemberg) à la fin de l’année 1942.
Le régime, dans cette citadelle, était le même qu’à Rawa-Ruska. Des hommes ont encore été affectés dans des kommandos au fur et à mesure des arrivées.
Lors de l’avance de l’Armée soviétique, des Français s’y trouvaient encore et certains ont participé aux combats de la Libération du territoire russe. Il en a été de même dans les kommandos.
Moralité
« CEUX DE RAWA-RUSKA » ont ainsi démontré qu’une catégorie de soldats français, qu’une partie de l’Armée française mise hors de combat par un sort malheureux, a opté pour la Résistance, a refusé d’obéir aux ordres de Vichy, a refusé de plier les genoux sous le joug de l’ennemi.
Les responsables nazis ne pouvant sévir sur le territoire du Reich contre des prisonniers de guerre, couverts par la Convention de Genève, sans s’attirer les représailles des Alliés, décidèrent donc de transférer ces hommes sur un territoire où les clauses de la Convention de Genève n’avaient pas cours.
Les conditions de vie réservées aux hommes transférés à Rawa-Ruska et dans ses kommandos a constitué une détention qui n’avait plus aucun rapport avec celle des prisonniers de guerre.
Cette détention, dans un camp d’un territoire situé hors du contrôle des missions de la Croix-Rouge Internationale, a bien caractérisé la volonté de l’ennemi de ne pas respecter les clauses de cette Convention de Genève et de faire subir aux détenus des préjudices semblables à ceux des prisonniers civils déportés pour lesquels aucune convention n’existait.
Ces détenus ont connu, par la volonté expresse des nazis, un régime alimentaire d’une insuffisance effrayante, des conditions sanitaires inhumaines, des privations et sévices de tous ordres, les conditions de vie hallucinantes des ghettos, un état de stupeur psychique. Cet ensemble de conditions a créé un ensemble de préjudices sans comparaison avec ceux qu’ont connus les prisonniers en Allemagne, lesquels ont continué à bénéficier des garanties de la Convention de Genève.
Si les nazis n’ont pu mener à sa fin la mesure d’extermination qu’ils destinaient aux Français et Belges transférés puis détenus au camp de Rawa-Ruska, comme ils le firent pour les Russes, c’est parce qu’ils en ont été empêchés :
- la création du camp avait été signalée (les autorités allemandes ne l’ont officialisée que plusieurs mois après l’arrivée des Français), et la Croix-Rouge Internationale avait demandé à le visiter
- l’existence de ce camp a été divulguée à la radio britannique : en juin 1942, la B.B.C. parle du camp de Rawa-Ruska « camp de la goutte d’eau » et des mesures de représailles sont annoncées
- et que la résistance physique des détenus fut exceptionnelle pour les raisons décrites précédemment.
RAWA-RUSKA est un symbole, le symbole de la Résistance que des militaires incarnèrent dans les conditions les plus périlleuses, les plus délicates, qu’ils durent payer de la déportation.
On ne peut oublier les préjudices qu’ils ont subi dans leur chair, dans leur âme, dans leur carrière.
On ne peut manquer de fidélité à la mémoire des disparus.
La fin du camp
Du 13 avril 1942 au 19 janvier 1943, le Stalag 325 fut transféré du camp de Rawa-Ruska, qui fut alors abandonné, à la citadelle de Lemberg (Lwow).
Du 20 janvier 1943 au 19 février 1944, il fut transféré à Stryj, ancien sous-camp de Rawa-Ruska.
En juin 1944, le Stalag 325 était dissous et les effectifs restants (peu nombreux), transférés au Stalag 1 A de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad).
Roger d’Aigremont, prisonnier à Rawa-Ruska écrit à sa mère, sur une carte-lettre expédiée en France par les soins de la poste soviétique aux armées :
La lettre fut postée le 24 avril 1945 à Landsberg (actuellement Gorzow Wielkopolski en Pologne), où les Français furent retenus par l’armée russe avant d’être conduits jusqu’à Starry-Doroghi en Russie, à une centaine de kilomètres au sud est de Minsk, qu’ils ne quittèrent que le 2 juillet 1945. Roger d’Aigremont ne rentra chez lui dans la Manche que le 23 juillet 1945. La lettre n’arriva qu’après son retour !